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Le live pour (sur)vivre de sa musique

L’industrie musicale a subi d’importants bouleversements avec l’arrivée du téléchargement et, ensuite, du streaming. Les ventes de CDs ne cessant de diminuer et ces nouveaux modes de consommation générant moins d’argent, les artistes se tournent naturellement vers les concerts. Aujourd’hui, les revenus issus du live sont primordiaux  pour pouvoir vivre de sa musique. Enquête.

Un million de dollars. Voire plus. C’est la somme imposée par des artistes comme Madonna, Justin Timberlake ou encore Bruce Springsteen pour un concert. En y exceptant les grandes stars internationales et mondialement populaires, Priceconomics, le site qui a mené l’enquête, veut mettre en avant une réalité économique de l’industrie musicale : aujourd’hui, les artistes ont besoin des concerts et des revenus qu’ils peuvent engendrer. Pourquoi ?

 

Premièrement, le CD, véritable source de revenus dans les années 90, se vend de moins en moins depuis une dizaine d’années. Son hégémonie était totale sur le marché musical belge jusqu’à l’apparition du téléchargement en 2006 avec iTunes (mais le téléchargement illégal était présent bien avant). Et puis du streaming, et notamment Spotify, en 2012. 

Cette année-là, le consommateur avait acheté 7,7 millions d’albums au format CD. En 2014, ce chiffre descendait à 4,6 millions.

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Deuxièmement, le format digital supplante petit à petit le physique. Même si celui-ci, CD et vinyl additionnés, en 2014 et en Belgique, représente près de 63% de parts de marché du secteur musical. Le téléchargement et le streaming ont offert un nouveau choix concernant le mode de consommation de musique. Mais cette consommation digitale offre une moindre rémunération aux artistes. Sur iTunes, les royalties issues de la vente d’un album varient entre 5,1% et 7,7% du prix (6,4% à 9,7% pour un CD). Et ce sont, en moyenne, 0,04€ qui sont reversés à l’artiste lors de l’achat d’une chanson à 1,29€. Il faut ajouter à cela une piraterie encore très présente dans l’industrie musicale. Sans oublier les téléchargements légaux qui diminuent.

Peu de revenus issus du streaming

Aujourd’hui, c’est le streaming qui a la cote et qui ne cesse d’accaparer des parts de marché. Mais son système de rétribution financier déplait à beaucoup d’artistes. Pour exprimer son mécontentement, une star mondiale comme Taylor Swift a décidé de retirer de Spotify son album 1989 vendu à plusieurs millions d’exemplaires. D’autres artistes célèbres comme Thom Yorke de Radiohead, les Black Keys ou Neil Young ont aussi condamné ouvertement la rémunération des plateformes de streaming.

Il est vrai que les revenus engendrés via les sites d’écoute en ligne peuvent paraitre dérisoires. Une étude de l’Adami, l’administration des droits des artistes-interprètes français, a conclu que pour un abonnement de 9,99€, après la taxe de l’Etat, les droits d’auteurs et la part pour les intermédiaires, tous les artistes écoutés durant le mois devront se partager 0,46€. On peut ajouter à cela 0,0043€, en moyenne, par écoute gratuite, financée par la publicité. Une somme à diviser entre les propriétaires de la chanson.

 

Le live pour gagner sa vie

Et les concerts alors, ça rapporte ? Petit tour d’horizon belge pour tenter d’y répondre. « Je pense que c’est vraiment ce qui nous permet d’avoir des rentrées d’argent. La musique (sic), tu n’as plus rien avec ça. C’est vraiment les concerts, le live » raconte Adrien Binon, le chanteur des Rising Sparks. Un constat partagé par Max Meli, cofondateur de l’ASBL Back In The Dayz qui s’occupe d’organisation d’événements, de booking et de management : « Dès qu’on devient professionnel, les concerts sont une des seules manières de faire rentrer de 

l’argent et vivre de sa musique. » Il tient néanmoins à nuancer. « On ne parle pas ici pour les grandes stars et les gros vendeurs, mais bien pour les artistes moyens. »

 

Les organisateurs de festivals sont au premier rang pour observer ce changement dans l’industrie musicale. Benoit Malevé, à la tête de l’Inc’Rock, l’a remarqué. « Depuis la crise qui a frappé l’industrie du disque, il y a une volonté de mieux gagner sa vie au travers des concerts. On le ressent certainement. » Cette réalité a conduit les artistes à réagir différemment pour faire face à cette crise. « C’est de plus en plus important de démarcher pour le live. On compose, on sort une démo en pensant au résultat que ça pourrait donner en concert » explique Arnaud Luyckfasseel, bassiste de Broadcast Island. « On compense la diminution des ventes de disques en faisant des tournées à rallonge, en jouant tout le temps » continue Julien Piscaglia, le chanteur du groupe bruxellois.

 

Un cachet plus important

Une tournée plus longue est privilégiée à un nouveau projet musical. Mais depuis plusieurs années, ils réclament aussi un cachet davantage élevé. En plus de la crise subie par le marché musical, cette hausse des cachets peut se justifier. « Quand on a payé les productions, les frais de la tournée, les musiciens et la part aux maisons de disque ou aux tourneurs, parfois il ne reste pas énormément dans la poche du chanteur par exemple. Et vu que les disques rapportent peu de royalties aujourd’hui, le cachet demandé augmente » explique Benoît Malevé. « Pour pouvoir justifier un cachet plus important, certains se font plus rares pour devenir des exclusivités pendant l’été. Tout ça est un jeu d’offre et de demande mais parfois, on conditionne l’offre un peu artificiellement… » continue-t-il.

Si les cachets augmentent, les prix des tickets d’entrée augmentent très souvent aussi. Pour exemple, un ticket de concert de Coldplay en 2000 coûtait 16€. Le prix était de 69€ en 2011. Rock Werchter a vu son ticket d’entrée passer de 76 à 226€ en 15 ans (il faut bien sûr prendre en compte la line-up, qui a elle aussi évolué). Cette inflation du prix du ticket est-elle une mauvaise chose pour les amateurs de concerts ? Pas totalement. La qualité des spectacles est très souvent supérieure à ce qui était proposé auparavant. « Pour valoriser ce prix de ticket, l’artiste doit se donner plus sur scène, se démarquer et prévoir un show encore plus impressionnant. Ce dernier point coûte de l’argent » insiste Max Meli. À l’Inc’Rock, lors de la programmation et l’organisation du festival, les envies des artistes pour une logistique plus importante sont bien présentes. « On a affaire à de nouvelles demandes techniques, notamment au niveau du light et du son. Elles émanent des groupes qui se concentrent plus sur la scène et qui veulent alors préparer un show le plus remarquable possible. Il faut donc que la technique suive derrière » déclare Benoît Malevé, motivé pour satisfaire les artistes de son festival. 

« Le prix des tickets a augmenté, mais la qualité des shows également » admet Max Meli. Il tient cependant à avertir les artistes. Pour prospérer en revendiquant un plus gros cachet, ils doivent remplir leurs salles de concert. « Si tu demandes beaucoup d’argent mais que tu ne remplis pas tes salles, tu ne vas tenir qu’une tournée. C’est la « trinité ». Si tu décides d’un ticket cher, tu dois faire un meilleur show et remplir tes salles. Sinon, l’équilibre ne tient pas. »

 

Trop d’artistes pour la demande

Avec la plupart des artistes qui veulent se produire sur scène plus souvent, un problème peut néanmoins se poser. L’offre devient énorme, et la demande ne suit pas nécessairement. Une épine dans le pied pour ceux qui veulent vivre de leur musique. « Aujourd’hui, il y a une concurrence assez forte, peut-être plus au niveau rock. Il faut alors rabaisser ses prix pour accéder à des festivals. Des jeunes groupes acceptent même de jouer gratuitement. Mais toi, en tant qu’artiste à temps plein, ça te frustre quand on vient te demander pour jouer gratuitement. On perd des opportunités » confie ennuyé Adrien Binon de Rising Sparks.

Konoba, artiste wavrien en pleine expansion, est du même avis mais minimise les cas où ça arrive. « Les organisateurs de concerts peuvent malheureusement se permettre de demander à des groupes de jouer gratuitement. Et si le groupe refuse, ils en trouveront un autre. C’est un problème pour les artistes professionnels. Mais c’est relativement rare. Les organisateurs de concerts essayent bien souvent de rémunérer correctement les artistes. »

 

Pour un artiste qui débute, par contre, se produire gratuitement (notamment via les tremplins musicaux), ou pour presque rien, est très souvent indispensable pour se faire connaître. 

Chez Back In The Dayz, qui s’occupe du management de plusieurs artistes, l’utilisation du petit (voire minuscule) cachet est un procédé qu’ils appliquent pour lancer un nouveau groupe. « Tu te dis, pendant un an, comme mon groupe est jeune, je vais jouer pour 100, 75 voire 50€ même des fois. Mais je vais jouer dans 20 salles et à la fin de la tournée j’aurai de quoi payer l’impression de mille albums de mon futur projet. J’aurai comme ça mon CD que je peux donner à d’autres gens » explique Max Meli. Pour lui, inutile de rêver au succès dès le départ. « Je pense qu’au début, tu ne dois pas faire de la musique pour gagner de l’argent mais pour payer ta musique en fait. Jusqu’au moment où tu te retrouves dans une équipe qui peut t’emmener plus loin. »

Un merchandising essentiel

À l’heure actuelle, les tournées sont aussi un moyen de promotion. Jali, en tournée pour la sortie de son dernier album, l’explique : « Les concerts, c’est super important. Au-delà de l’aspect financier, parce que oui c’est un cachet à chaque fois etc., tu as aussi le fait que ça nourrit un projet. Pour qu’un projet continue d’évoluer, il faut le faire vivre, aller le chanter sur les routes, etc. Sans ça, on ne peut pas aller chercher le public, on ne peut pas convaincre ceux qui n’avaient peut-être pas encore entendu l’album. » C’est également l’occasion pour les artistes de proposer tous leurs produits dérivés. Et ceux-ci, en termes de revenus, sont loin d’être négligeables. « Tu as toujours un public qui a vraiment été touché par ton concert. Il y en a certains qui vont vouloir un t-shirt à l’effigie de ton groupe, d’autres qui vont vouloir acheter

ton CD, parce qu’ils ne vont peut-être plus au magasin. Ou juste pour avoir un souvenir. Et puis, en quelque sorte, c’est une pub de voir quelqu’un se balader avec ton t-shirt » déclare Max Meli, soulignant l’importance du merchandising pour un artiste.

 

La réalité est donc bien là. À moins de s’appeler Lady Gaga ou Adele et de vendre, encore aujourd’hui, des millions de CDs et d’être écouté des millions de fois sur internet, les concerts restent très importants financièrement parlant. Notamment pour le cachet en tant que tel mais aussi pour tout ce qu’il y a autour, comme la promotion ou la vente de produits dérivés. Et malgré la technologie évoluant sans cesse, rien ne remplacera le plaisir d’écouter et de voir son artiste favori à quelques mètres de soi. L’affluence aux concerts ne risque donc pas de s’estomper.

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